L’origine du chant chrétien se perd dans l’exportation du chant sinagogal que les apôtres et disciples auront propagé aux premiers pays évangélisés. Dans l’Empire Romain, les persécutions auront maintenu les messes dans un certain silence, et l’on peut supposer que l’Art vocal n’y a connu aucune éclosion. Dans le même temps, en Grèce, on pratique le chant responsorial à deux chœurs.
A partir du Ve s. l’art des chantres occidentaux put devenir une réalité. Le « plain chant » apparaît en ordre dispersé : le vieux-romain à Rome (doux et expressif), le gallican en Gaule (coloré et dramatique), le mozarabe en Espagne (exubérant), l’ambrosien à Milan (vigoureux et sonore), et le bénéventain dans le sud de l’Italie. La seule forme qui ait subsisté sans interruption est le chant ambrosien (de la réforme de saint Ambroise), ce dernier restant autorisé à la cathédrale de Milan. Les chroniqueurs médiévaux rapportent qu’au VIIe s. le plain chant est fait de sons « flattés », « battus », « coupés » et « tremblants », mais cette description semble plutôt correspondre au chant gallican et peu au chant vieux-romain.
En 753 saint Chrodegang, évêque de Metz, est envoyé par Pépin-le-Bref auprès du Pape Etienne II, avec pour objectif la romanisation et la latinisation du royaume franc, en tant qu’outils d’unification politique, et le sacre par le pape de Pépin, la reine Berthe et leurs deux fils. Au cours de la cérémonie, les chantres romains impressionnèrent Pépin-le-Bref, qui obligea les chantres francs à apprendre leur technique et leurs mélodies. Etienne II contribua grandement à cette formation en envoyant des livres et quelques chantres, faisant de Metz le phare de la liturgie romaine dans le royaume franc. Mais les chantres francs, de tempérament peu commode, n’en firent qu’à leur tête et se plurent à orner librement le chant « vieux romain » qu’on leur avait imposé. Ainsi naquit le « chant messin ».
En 805 Charlemagne, constatant de grandes disparités à travers le pays, fit de Metz un centre de formation incontournable, ordonnant que nul ne soit chantre s’il ne vient de l’Ecole de Metz. Le chant messin se répandit alors dans tout l’Empire carolingien, donnant naissance à ce que l’on appelle le chant « romano-franc », qui finira, au XIIe s. par s’imposer jusqu’à Rome même !
Le terme de « chant grégorien » situe les mélodies de ce chant du vivant de saint Grégoire Ier dit « le Grand ». C’est là une chose vraie, mais l’évolution du chant romain en chant romano-franc n’est pas son œuvre, mais bien celle de Chrodegang, renforcée par le travail de recension d’Amalaire de Metz au siècle suivant.
L’écriture du plain chant est resté longtemps une rareté, et s’en tenait à la pratique grecque, à base de lettres de l’alphabet (que les pays anglo-saxons utilisent toujours pour nommer le notes de la gamme). Les premières notations véritables apparaissent avec l’écriture paléofranque au VIIIe s. Les plus anciens manuscrit préservés qui en témoignent datent du Xe s. A cette époque l’écriture neumatique se développe et suscite de fameux manuscrits : Saint-Gall, Laon, Metz, Chartres… Au XIe s. A cette époque, les neumes sont des signes qui évoquent plus les mouvements de la mélodie que la hauteur des notes. Les chantres apprennent par cœur, seuls les maîtres lisent et écrivent.
Les lignes de la portée apparaissent : tout d’abord une ligne rouge, puis une deuxième de couleur jaune (inventée dans l’ancienne Aquitaine), puis finalement quatre lignes, parfois tracées simplement à la pointe sèche.
Les neumes deviennent carrés au XIIe s., indiquant précisément les hauteurs. Mais la combinaison de cette écriture plus « mathématique » et la naissance de la polyphonie – qui va séduire les chantres et les auditeurs – va initier une décadence rapide. Au XIVe s., le plain-chant ne s’écrit qu’avec des suites de notes carrées dépourvues de nuances, le savoir-faire se perd. Au XVe s. la notation carrée disparaît pour laisser place à des notes en forme de losange dotées de hampes, ancêtres des notes rondes.
Cette « nuit » du chant grégorien durera jusqu’au XIXe s. En 1853 Louis Niedermeyer réouvre l’Ecole de Musique religieuse de Paris, où « le plain chant fera l’objet d’un soin particulier ». Conscient que le chant lyrique est devenu une plaie dans la liturgie de l’Eglise, Niedermeyer veut réintroduire la modalité : il publie en 1857 un traité d’harmonie du plain-chant, et en 1861 un recueil d’harmonisation qui connaîtra un immense succès en France, et qui contribuera notamment à l’éclat de la liturgie à Notre-Dame de Paris jusque dans les années 1970.
En 1860 dom Guéranger, fondateur de l’Abbaye de Solesmes, initie une réforme du plain-chant en revenant aux sources médiévales qui se répandra rapidement jusqu’à Québec. Leurs recherches seront rapidement facilitées par un nouvel outil : la photographie, qui permet d’étudier des manuscrits qu’il est impensable de déplacer. Au scriptorium de l’abbaye, les moines superposent des dizaines de versions d’une même pièce afin d’en comparer les neumes, d’en analyser les variations et ainsi reconstituer, autant que faire se peut, la version originelle. Ils développent et améliorent, au XXe s., une nouvelle notation carrée qui restituent de manière lisible les mouvements qu’indiquaient, mille ans plus tôt, les anciennes neumes.
Mais le XXe s. est rétif. Dans les années 20 et 30 la réforme de Solesmes ne rencontre pas que des amis. Certains s’y opposent. D’autres ne veulent pas entendre parler de modalité dans l’accompagnement du chant grégorien, et promeuvent des harmonisations au romantisme absurde, au point que Dom Gajard finira par dire : « Accompagner le chant grégorien, c’est comme mettre une crinoline à la Vénus de Milo » !
Le chant grégorien de Solesmes s’est ensuite trouvé confronté à deux « rivaux » :
– un véritable ennemi dénommé « progressisme » qui a ruiné la liturgie romaine en faisant admettre à la plupart des fidèles un répertoire d’une terrible indigence ainsi qu’une sorte de culture du néant liturgique.
– les travaux de médiévalistes laïcs qui ont pris en charge un créneau de recherche qui ne pouvait être celui des moines : les survivances de pratiques vocales anciennes en Europe occidentale. Appuyée sur des recherches documentaires, il en est sorti des interprétations personnelles non dépourvues de vérités, qui obligent à reconsidérer certaines questions, et notamment la focalisation du XXe s. sur la théorie pure au détriment de l’art vocal.
Il en résulte aujourd’hui l’émergence de courants qui prônent le retour à la vraie tradition des chantres, mais qui suscite quelques excès comme par exemple la promotion du « chant picard » qui n’est jamais que la pratique d’un chant rugeux que l’on pourrait qualifier au mieux de « néo-gallico-franc », loin de la tradition de suavité que l’Eglise tient pour seule capable de préfigurer sur terre le chant des anges dans la Jérusalem céleste.
– – – –
Bibliographie principale :
– Marie-Reine Démollière, « Bref historique de la notation musicale » ; sur le site de l’Académie de Nancy-Metz.
– divers auteurs sous la direction de Christian-Jacques Démollière, « L’Art du Chantre carolingine », Ed. Serpenoise, Metz – 2004
A parcourir également « Petite Histoire illustrée du chant liturgique en France« .