Au IIIe s. avant Jésus-Christ, l’ingénieur Ktesibios d’Alexandrie invente l’hydraule, orgue à régulation par cloche d’air immergée dans l’eau.
L’instrument était très puissant, probablement grâce à des tuyaux à anches, à tel point qu’il fut utilisé dans les cirques romains pour ponctuer les jeux et probablement aussi pour couvrir les cris des suppliciés. Ce type d’orgue était utilisé lors de circonstance festives variées, y compris en plein air, comme en témoigne cette illustration issue du psautier d’Utrecht (détail, IXe siècle (1)).
L’orgue subit cependant une période de disparition, en Europe occidentale, au cours des IVe et Ve s. à cause des multiples invasions barbares. Le métal des tuyaux intéressa sans aucun doute les pillards (comme ce fut le cas lors de la Révolution française). En 757, sous l’action de Pépin-le-Bref, l’instrument réapparut.
Au Xe s. l’orgue est encore fait de tuyaux en cuivre martelé (tous d’un diamètre identique), de soufflets conçus comme des outres (identiques à ceux utilisés dans les forges), et de tirettes coulissantes pour faire « parler » les tuyaux. C’est le cas pour cette reconstitution réalisée à l’Abbaye de Royaumont (ci-contre) (2). En Angleterre, toujours au Xe s., un poète loue l’orgue de la ville de Winchester, dont le son éclatant pousse certains auditeurs à se boucher les oreilles, tandis que les tuyaux s’entendent par toute la ville ! (3)
Mais les documents médiévaux laissent surtout des représentations d’orgues portatifs, si légers qu’un musicien peut en porter pour jouer dans les processions. Cet instrument portatif, jugé peu fiable (4), tombera en désuétude au XVIe s.
Le développement de l’orgue aura sans doute été facilité par Gerbert d’Aurillac : moine et ingénieur, il avait construit des orgues puis était devenu pape sous le nom de Sylvestre II.
Au XIVe s. l’orgue prend soudainement son visage moderne : tuyaux en plomb à diamètre progressif, clavier à touches, soufflets à plis autorisant des grandes capacités et donc de grands instruments. L’orgue va alors devenir l’instrument roi. Il n’a plus besoin d’être secondé par des instruments à vent comme c’était parfois le cas.
Au XVIIe et XVIIIe s. l’orgue français connaît son époque d’or, avec des grands compositeurs tels que Couperin, Clérambault, Marchand pour ne citer qu’eux. Les facteurs d’orgue français deviennent aussi renommés que les musiciens, comme Cliquot, de Joyeuse ou encore le bénédictin Dom Bedos de Celle dont le traité de facture d’orgue mondialement connu a permis la reconstruction récente, dans l’église de l’abbaye où il était moine (Ste-Croix de Bordeaux), d’un orgue conforme à ses écrits.
Au XIXe s. l’orgue devient romantique, et le facteur Cavaillé-Coll marque son époque par des instruments aux capacités sonores de type « symphonique » allant de l’expressivité la plus douce à une puissance impressionnante. La fin de ce siècle et le début du XXe s. furent aussi marqué par une génération d’organistes compositeurs géniaux, alliant tradition et modernisme, tels que Franck, Vierne ou Jean Langlais.
La seconde moitié du XXe s. est, pour l’orgue dans le cadre liturgique, une période de déclin. L’invasion de la guitare a suscité non seulement une raréfaction des organistes capables, mais parfois même des situations frôlant la fermeture de la tribune. S’il n’y avait eu la possibilité de donner des concerts, on peut considérer que les organistes auraient fini par complètement déserter les églises. Le XXIe s. connaissant un retour à la sagesse, l’orgue peut faire son retour dans la liturgie, mais il est encore freiné par un répertoire chanté fort pauvre, et la place allouée aux pièces d’orgue dans la liturgie s’est réduite à bien peu de choses.
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1 : Psautier d’Utrecht, illustration du Ps. 150, Bibliothek des Rijksuniv. MS32/484 f.38
2 : orgue du XIe s. reconstitué par Antoine Massoni à l’Abbaye de Royaumont d’après le traité de Théophile, du XIe s. également.
3 : à tempérer, car à cette époque la propagation du son était facilitée par des bâtiments de faible hauteur et un urbanisme bien moins bruyant qu’aujourd’hui.
4 : traités Musica Getutscht de Sebastian Virdung en 1511 et Musica Instrumentalis Deutsch de Martin Agricola en 1529 : des problème de stabilité de pression sont certainement en cause.
Bibliographie pour la période pré-médiévale : Cristophe Deslignes, « Positifs et grand orgue », in « Les Orgues gothiques », sous la direction de Marcel Pérès, éditions Créaphis, Paris, 2000.