Pour les chefs de chœur et choristes
Émission complète
est diffusée trois fois par semaine sur Radio Courtoisie.
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C’est avec plaisir que nous utilisons le disque de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault qui, enregistré en octobre 2022, était arrivé providentiellement en février 2023, avant le Temps liturgique concerné. Il est en vente sur notre Boutique en ligne ICI. Vous pourrez lire en bas de cette page, si vous le souhaitez, la totalité de la recension que j’avais rédigée pour notre revue N° 341 de mars 2023.
Les deux pièces manquantes (Trait et Offertoire) seront interprétées par les moines de Triors mais vous aurez l’occasion dans le second fichier audio avec commentaires (cf ci-dessous) d’écouter de nombreux chefs d’œuvre de ce Temps béni, tous chantés par la schola de l’abbaye berrichonne.
On ressent dans chaque pièce la vérité d’une pratique quotidienne, avec des voix jeunes et ferventes, qui disent la primauté du spirituel sur tout autre contingence et imposent une sérénité, si propre à la tradition bénédictine venue de Dom Guéranger, via Dom Gajard. Dans ce répertoire de l’âme, cette interprétation essentiellement orante nous convainc !
Cliquez sur le curseur ci-dessous si vous souhaitez écouter de larges extraits de ce disque de l’abbaye de Fontgombault…

Dimanche 6 avril 2025
Domínica 1a Passiónis
Ier DIMANCHE DE LA PASSION
Violet – Ire classe
Nous entrons ce dimanche dans le temps de la Passion, où nous sommes maintenant durant les deux dernières semaines du Carême qui nous séparent encore de la fête de Pâques. Dimanche dernier, le dimanche de Lætare, nous nous étions réjouis par avance à la pensée de la prochaine victoire de la Résurrection, mais nous avions vu que pour parvenir à cette joie il fallait d’abord passer par la croix. Nous allons donc pendant ces deux semaines nous unir profondément aux souffrances et à la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui seront l’unique objet de notre prière et de nos chants. Les chants de la messe de ce dimanche de la Passion sont tous placés dans la bouche du Christ. Ce sont ceux d’un homme persécuté et abandonné de tous. Certes Il est Dieu, et d’un mot Il pourrait réduire ses persécuteurs à néant, mais Il cache volontairement sa divinité. C’est pourquoi on voile les crucifix et toutes les autres statues durant ce temps de la Passion, tout au moins devrait-on le faire, et pour la même raison on supprime le chant du Gloria Patri à l’Introït.
– Le site Introibo pourra vous procurera d’intéressants commentaires de Dom Guéranger, Dom Baron, Dom Schuster…
– Vous pouvez entendre la bande sonore de cette émission dès le lundi précédant le dimanche, ici même, en cliquant sur le petit triangle à gauche du curseur ci-dessous et préparer ainsi les chants de la messe dominicale, liturgiquement, spirituellement et …vocalement !
– Allez à la fin de cette page pour accéder au lien qui vous permettra d’obtenir la partition du psaume de communion que nous vous recommandons d’interpréter en alternance avec l’antienne.
Introït : Judica me
L‘Introït de ce jour a un texte bien connu, puisque c’est le début du psaume 42 que le prêtre récite au bas de l’autel.
Judica me, Deus, et discerne causam meam de gente non sancta : ab homine iniquo et doloso eripe me : Quia Tu es Deus meus, et fortitudo mea.
Faites-moi justice, mon Dieu, séparez ma cause de celle d’un peuple impie, délivrez-moi de l’homme méchant et trompeur, car vous êtes mon Dieu et ma force.
Ce psaume, qui n’est d’ailleurs que la suite du psaume 41, est la prière d’un juif pieux exilé au milieu d’un peuple païen, et aspirant à retrouver la cité sainte de Jérusalem et le temple, maison de Dieu. Aujourd’hui cette prière doit être mise dans la bouche du Christ qui a quitté le ciel pour venir au milieu des hommes qui le persécutent et dont Il accepte volontairement de porter les péchés. Les deux premières phrases expriment sa souffrance en deux grandes montées qui culminent de façon douloureuse à la fin de la deuxième phrase sur les mots eripe me. Mais comme toujours le Christ exprime aussi sa confiance en son Père et son abandon total à sa volonté ; c’est la troisième phrase dont la mélodie est beaucoup plus douce. Cet Introït est accompagné du verset suivant du psaume :
Emitte lucem tuam et veritatem tuam : ipsa me deduxerunt, et adduxerunt in montem sanctum tum, et in tabernacula tua.
Envoyez votre lumière et votre vérité : ce sont elles qui me guideront et me conduiront vers votre sainte montagne dans votre temple.
Comme nous l’avons dit le Gloria Patri est supprimé et après ce verset du psaume on reprend aussitôt l’Introït.
Graduel : Eripe me
Comme l’Introït, le Graduel du dimanche de la Passion est encore une prière du Christ souffrant et en butte aux persécutions des pécheurs, mais confiant et soumis à la volonté de son Père. Curieusement, car c’est assez rare, les deux parties de ce Graduel sont empruntées à deux psaumes différents. La première est tirée du psaume 142, le dernier des sept psaumes de pénitence, prière du juste persécuté, et ce verset résume parfaitement les sentiments du Christ dans sa Passion.
Eripe me Domine, de inimicis meis : doce me facere voluntatem tuam.
Arrachez-moi Seigneur aux mains de mes ennemis, apprenez-moi à faire votre volonté.
La deuxième est extraite du psaume 17, qui est au contraire un chant d’action de grâces. Nous l’avons rencontré à l’Introït du dimanche de la Septuagésime où les tourments passés n’étaient évoqués que pour remercier le Seigneur de les avoir surmontés. Ici les versets ont été mis au futur, et le Christ y exprime la confiance en son Père qui le fera triompher de tous ses persécuteurs :
Liberator meus, Domine, de gentibus iracundis : ab insurgentibus in me exalatabis me : a viro iniquo eripies me
Vous me délivrerez Seigneur des peuples en colère, Vous m’élèverez au-dessus de ceux qui m’attaquent, Vous m’arracherez aux mains de l’homme pervers.
La mélodie donne à cet ensemble une grande homogénéité. Elle est tout à fait semblable à celle des Graduels de la Quinquagésime et du troisième dimanche de Carême. Nous retrouvons ses grandes vocalises pleines de mouvement, ses longues tenues et son ambiance de ferveur mystique.

Trait : Sæpe expugnaverunt mea
Dans le Trait du dimanche de la Passion nous retrouvons encore une fois une prière du Christ victime des méchants mais mettant sa confiance dans son Père. C’est le début du psaume 128, petit psaume des degrés qui s’applique littéralement au peuple d’Israël, mais il est messianique et contient une prophétie très précise de la passion et notamment du supplice de la flagellation :
Sæpe expugnaverunt me a juventute mea.
Dicat nunc Israel : sæpe expugnaverunt me a juventute mea.
Etenim non potuerunt mihi : supra dorsum meum fabricaverunt peccatores.
Prolongaverunt iniquitatem sibi : Dominus justus concidet cervices peccatorum.
Ils m’ont souvent attaqué depuis ma jeunesse.
Mais qu’Israël le répète, ils m’ont souvent attaqué depuis ma jeunesse
Mais ils n’ont pas pu l’emporter contre moi. Les pécheurs se sont acharnés sur mon dos.
Ils ont fait durer leurs méchancetés, mais le Seigneur est juste, Il brise la tête des pécheurs.
La mélodie, comme celle de tous les Traits, est une psalmodie très ornée et l’on y retrouve un certain nombre de formules semblables à celles des Traits, des deux dimanches précédents. Cependant elle débute par une formule spéciale qui descend dans le grave.

Offertoire : Confitebor tibi
L‘Offertoire du dimanche de la Passion est un chant de méditation, comme ceux des dimanches précédents, qui regroupe plusieurs versets du psaume 118, la longue contemplation de la loi de Dieu et de ses commandements que nous avons déjà rencontrés dans d’autres Offertoires. Ici la contemplation s’attache surtout à la parole de Dieu qui donne la vie, et elle se prolonge par une prière :
Confitebor tibi, Domine, in toto corde meo ; retribue servo tuo : vivam, et custodiam sermones tuos : vivifica me secundum verbum tuum, Domine.
Je vous louerai de tout mon cœur. Rendez justice à votre serviteur, je vivrai et je garderai vos paroles. Faites moi vivre selon votre parole Seigneur.
Cette prière évidemment peut être celle de toute âme chrétienne, mais en ce dimanche de la Passion nous la mettons spécialement dans la bouche du Christ exprimant la confiance en son Père qui lui redonnera la vie après la mort de la croix.
La mélodie est pleine de ferveur avec de grands élans suivis de descentes bien balancées qui lui donnent un caractère très équilibré et en font une prière très expressive.
Communion : Hoc corpus
Dans la Communion du dimanche de la Passion ce ne sont plus cette fois des versets de psaumes que nous plaçons dans la bouche du Christ, mais ce sont les paroles du Christ lui-même dans l’Évangile que nous répétons, et plus précisément les paroles par lesquelles il a institué la Sainte Eucharistie
Hoc corpus quod pro vobis tradetur: hic calix novi testamenti est in meo sanguine, dicit Dominus: hoc facite, quotiescumque sumitis, in meam commemoratonem.
Voici ce corps qui sera livré pour vous, voici le calice de la nouvelle alliance en mon sang dit le Seigneur ; chaque fois que vous le prendrez, faites cela en mémoire de Moi.
Remarquons que ce chant nous parle de l’Eucharistie en ce jour ou nous commémorons la Passion, montrant ainsi le lien étroit qui existe entre la messe et la croix. Nous retrouverons ce lien en sens inverse le Jeudi Saint, jour où l’on commémore l’institution de l’Eucharistie, et où l’Introït est un chant à la gloire de la Sainte Croix.
Ici le Christ n’exprime plus sa souffrance mais il offre son sacrifice en nous donnant le pouvoir de le renouveler tous les jours à la messe. La mélodie est d’abord grave et solennelle, puis elle s’élève en une montée très expressive qui culmine sur le mot quotiescumque avant de s’achever de manière calme et affirmative.
Le site nord-américain Musica Sacra (cliquez sur 1962 Missel puis choisissez l’antienne) nous offre des partitions du psaume qui peut être interprété en alternance avec cette l’antienne de Communion. Ou bien cliquez ICI ! C’est aisément déchiffrable pour tout choriste et nous encourageons vivement les chefs de scholas à les imprimer et à les travailler lors des répétitions. La psalmodie est le meilleur moyen d’apprendre à déclamer la phrase latine, à respecter les accents toniques, à prononcer cette langue liturgique sans hésiter…
► CHANT GRÉGORIEN DE L’ABBAYE DE FONTGOMBAULT : LA PASSION
C’est avec plaisir que nous avons écouté ce disque qui est arrivé providentiellement avant le Temps liturgique concerné. La pochette est remarquablement élaborée et commence pas deux pages introductives sur le sens spirituel de ce Temps de la Passion pendant lequel « l’Église s’emploie dans ses chants à l’ultime préparation des fidèles et puise dans les trésors les plus anciens et les plus purs de son répertoire ».
Ce disque commence par le superbe répons Vadis propitiátor qu’évoque Dom Gajard dans son ouvrage « Les plus belles mélodies grégoriennes » (p. 252). Il précise que ce répons est « tombé aujourd’hui en désuétude, sauf dans la liturgie ambrosienne, où il est chanté le Vendredi saint » et souligne à juste titre « la grande beauté expressive de sa mélodie ». Le texte admirable et bouleversant nous vient directement des œuvres de Romanos le Mélode (499-556), l’un des plus grands poètes liturgiques de l’Orient chrétien.
Nous avions déjà ce répons interprété par les moniales d’Argentan dirigées par Dom Gajard (CD « les Mystères du Rosaire » publié par JADE) ou par les moines de Solesmes, après la messe des Rameaux en 1965 (toujours Dom Gajard), ou sous la direction de Dom Jean Claire (« Les Ténèbres de Vendredi saint ») ou encore plus récemment par les moines de Kergonan dirigés par Jaan-Eik Tulve (« Orientale Lumen ») dans une version milanaise. Mais la version présente de cette pièce magistrale par la Schola monastique de Fontgombault nous séduit.
La pièce suivante nous introduit dans le Temps de la Passion avec l’introït Júdica me de ce premier dimanche, suivi du graduel Éripe me, puis de la communion Hoc corpus. L’interprétation de ces trois chants que nous, choristes, connaissons bien est magnifique, supérieure aux enregistrements dont nous disposons. Seuls les moines de Solesmes dirigés en 1952 par le Père Gajard peuvent … rivaliser dans le Júdica me et obtenir un irremplaçable legato !

Le choix des pièces est ensuite judicieux. Il couvre ce Temps liturgique au-delà de ce que nous trouvons dans nos Paroissiens romains type n° 800. Il faut alors chercher les partitions dans un autre Graduel. J’ai pris par exemple le Graduale Romanum n° 696 de 1948 pour trouver l’offertoire du mercredi et la communion du vendredi de la Passion. On pourrait utiliser aussi le Graduale Romanum de 1974, mais les chants ne se trouvent pas le même jour. L’offertoire précité (Éripe me… Deus) est à chercher au lundi et non plus au mercredi…
Rassurez-vous ! Nos amis bénédictins ont l’esprit pratique et font montre d’un sens pédagogique incontestable puisque la pochette fournit TOUTES les partitions des pièces enregistrées. Et en outre précise de quel Ordo elles sont issues, soit l’ancien rit antérieur à 1962 (Vetus Ordo représenté par les lettres VO) ou le nouveau de 1974 (Novus Ordo, soit NO).
Puis viennent trois chants de la messe des Rameaux communs aux deux rits, dont le sublime offertoire Impropérium. Que la Schola monastique me permette d’être en revanche plus réservé sur son interprétation de ce chef d’œuvre du répertoire. Autant les épisèmes horizontaux donnés de façon discrète dans nombre de pièces sont convaincants, car ils expriment cette nuance expressive que nous avons tant de mal à rendre dans nos chœurs de paroisses, autant je pense que dans cet offertoire douloureux il fallait leur donner un rôle autre. À l’écoute, je ne décèle pas ce que notre regretté Yves Gire appelait dans ce chant « des neumes longs et lourds ». J’ai écouté huit versions prises dans ma discothèque de cet Impropérium et je puis le confirmer. Les moines de Dom Gajard en 1965 mettent 20 longues secondes de plus pour mettre en valeur cette plainte déchirante et accablée. De même Ligugé en 1958…
Le grand intérêt de ce disque est de faire découvrir des pièces de la Semaine sainte inconnues de l’immense majorité des chorales paroissiales. Elles sont d’ailleurs fort peu, ou pas du tout enregistrées, alors qu’elles sont pour la plupart magnifiques. Il n’y en a que six en excluant l’introït Nos autem du Jeudi saint, bien connu, mais il eût fallu un disque entier pour ces trois premiers jours de la Semaine « peineuse » comme l’on disait jadis. Suivent deux répons du Jeudi saint, les Impropères du Vendredi saint dans leur totalité, le répons Tenébræ et deux autres du Samedi saint, dont le sublime O vos omnes.
La chronologie liturgique est respectée jusqu’à la vingt-cinquième et dernière plage consacrée au chef d’œuvre de ce Temps quadragésimal, le graduel Christus factus est du Jeudi saint, peut-être pour mettre davantage en valeur cet admirable joyau. La Schola de l’abbaye berrichonne nous offre un modèle d’interprétation de ce graduel que les choristes qui chantent les Ténèbres doivent connaître par cœur.
À l’époque où les bacs des disquaires ne reçoivent plus guère de nouveautés en chant grégorien, ce disque est à accueillir avec joie. Il pourra vous aider à suivre la douloureuse Passion de Notre-Seigneur par des chants puisés dans la liturgie même de ce Temps béni.
N’y recherchez pas les dernières trouvailles de la recherche ethno-musicologique issue d’études sémiologiques savantes ! Vous trouverez en revanche la quintessence du « grand rythme solesmien » quelque peu revigoré par des tempos dynamiques, par des crescendos fort bien maîtrisés. On ressent dans chaque pièce la vérité d’une pratique quotidienne, avec des voix jeunes et ferventes, qui disent la primauté du spirituel sur tout autre contingence et imposent une sérénité, si propre à la tradition bénédictine venue de Dom Guéranger, via Dom Gajard. Dans ce répertoire de l’âme, cette interprétation essentiellement orante nous convainc !
Patrick Banken
Le disque est disponible au prix de 18 € :
- sur notre boutique en ligne ICI
- sur le site d’Art et Musique (https://www.artetmusique.org/product-page/la-passion)
- directement à l’abbaye.