Les chants de cette messe, qui fut la dernière de l’année, appelée messe De profundis, et se trouve de nos jours être l’avant-dernière – suivie du Christ Roi de l’univers dans la forme ordinaire et du 24e dimanche après la Pentecôte dans la forme extraordinaire –, forment un vade-mecum de la prière chrétienne.
IN [Jer 29, 11.12.14; Ps 84] Dicit Dóminus: Ego cógito cogitatiónes pacis, et non afflictiónis: invocábitis me, et ego exáudiam vos: et redúcam captivitátem vestram de cunctis locis. [V/ Benedixísti Dómine terram tuam: avertísti captivitátem Jacob]
Le Seigneur dit : Mes pensées sont des pensées de paix et non d’affliction : vous m’invoquerez et moi je vous exaucerai : et je vous ramènerai de votre captivité d’en tous lieux.
GR [Ps 43, 8; V/ 9] Liberásti nos, Dómine, ex affligéntibus nos: et eos qui nos odérunt, confudísti. [V/ In Deo laudábimur tota die, et nómini tuo confitébimur in sǽcula.]
Tu nous as libérés, Seigneur, de ceux qui nous affligeaient: et ceux qui nous haïssaient, tu les as confondus [V/ En Dieu nous serons glorifiés tout le jour et nous confesserons ton nom à jamais]
ALL [Ps 129, 1.2] Allelúia. De profúndis clamávi ad te, Dómine: Dómine exáudi vocem meam.
Des profondeurs j’ai crié vers toi, Seigneur : Seigneur exauce ma voix.
OF [Ps 129, 1.2] De profúndis clamávi ad te, Dómine: Dómine exáudi oratiónem meam: de profúndis clamávi ad te, Dómine.
Des profondeurs j’ai crié vers toi, Seigneur : Seigneur exauce ma prière : des profondeurs j’ai crié vers toi, Seigneur.
CO [Mc 11, 24] Amen dico vobis, quidquid orántes pétitis, crédite quia accipiétis, et fiet vobis.
Amen je vous le dis, quoi que vous demandiez en priant, croyez que vous le recevrez et cela vous sera fait.
Dans l’introït Dieu lui-même parle. Il s’adresse à son peuple. Et toute la Bible nous le dit et répète : « Écoute ! ». La règle de saint Benoît s’ouvre par cet appel : Audi, Écoute. Oui, toute prière chrétienne commence par l’écoute de la Parole de Dieu. Et celle que nous faisons résonner dans l’introït de ce dimanche nous fait entendre deux choses. 1° Que la prière chrétienne est fondamentalement une relation à quelqu’un (ego, me, vos). 2° Que l’action future (cf. invocábitis, exáudiam, redúcam, tous trois au futur) de Dieu est fondée dans l’immanence de ses pensées de paix.
L’accès que cette parole nous donne à ‘l’intérieur’ de Dieu, à ses pensées (cogito cogitationes) est remarquable et l’on ne manque pas de penser que le temps de l’Avent qui va s’ouvrir nous prépare à la venue du Fils de Dieu que les Pères ont appelé le logos endiathetos (= dans la pensée du Père) qui par l’incarnation sera logos prophorikos (proféré), incarnation par laquelle précisément se réalise cette parole : reducam captivitatam vestram de cunctis locis. Par la venue du Fils parmi les hommes, le salut est une libération offerte à tout l’univers.
Dans le graduel le peuple reconnaît ce que Dieu, déjà, a fait pour lui, (Liberásti, confudísti, sont au parfait). Ce dont Dieu le libère (affligéntibus, ceux qui affligeaient) et qui précisément n’est pas Dieu : l’introït vient de nous rappeler que les pensées de Dieu sont pensées de paix et non afflictiónis (même famille qu’affligéntibus). Et dans le verset le peuple exprime sa reconnaissance jusqu’en Dieu où il est glorifié. Dans l’expérience et la mémoire des bienfaits de Dieu, dans la confession (confitébimur) de son Nom, le peuple fonde sa confiance face à ce qui adviendra. Et trouve la confiance pour demander.
À cette messe dite De Profundis, on ne chantait pas d’Alleluia. D’où l’absence de neumes dans le manuscrit de Laon et le maintien du texte original du psaume 129 (vocem meam) – là où l’offertoire chante le même verset de psaume en orationem meam.
Confiant en Dieu par la mémoire de ses bienfaits, qui est, en fait, un mémorial c’est-à-dire un geste qui rend présent et actif par le biais de la mémoire, le croyant (le confessant) peut adresser sa demande à Dieu, clamávi ad te. La prière se fait singulière dans le balancement si caractéristique des psaumes entre le ‘nous’ du peuple et le ‘je’ du croyant. La relation à Dieu, dans les deux cas, est personnelle. Les expériences des bienfaits de Dieu dans l’une de ces sphères nourrit toujours la foi dans l’autre. Ce que Dieu a fait pour mon/son peuple il peut le faire pour moi, ce qu’il a fait pour moi il peut le faire pour mon/son peuple : nous sommes siens. Notons que le texte du ps 129 dit exaudi vocem meam, que le texte de l’offertoire change en orationem meam – la voix est prière, prière dont l’exaucement est assuré dans la communion.
La communion s’ouvre comme seule une parole de Dieu peut s’ouvrir : par l’Amen. Crédit est donné à la parole avant qu’elle ne soit prononcée. Et sur ce roc de l’amen divin se fondent la prière de demande (quidquid orantes petitis), la confiance en l’advenue (credite quia accipietis), l’œuvre même de Dieu pour nous (fiet vobis). Oui, à la création Dieu dit et cela fut. Et il n’abandonne pas sa création : Il dit (dicit Dominus) et cela sera (fiet) – pour nous (vobis).
Écoute. Reconnais. Rends grâces. Demande. Aie confiance. Il fait – toutes choses.
La Vierge le sait. L’Avent, bientôt, nous invitera à entrer dans son fiat.